Harcèlement moral : employeurs, votre attentisme vous condamne !

Comme nous l’avons précisé à plusieurs reprisesdans nos précédents articles sur le même thème, il est désormais de jurisprudence constante que l'existence de faits de harcèlement constitue un manquement grave de l'employeur justifiant la prise d'acte du salarié qui en est victime (Cass. soc., 19 janv. 2012, n° 10-20.935).

Pour mémoire, la prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail qui « permet au salarié de rompre son contrat aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci pour empêcher la poursuite de la relation de travail » (Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634, n° 658 FP - P + B Cass. soc., 2 avr. 2014, n° 13-11.187).

Bien sûr, la notion de harcèlement de l’employeur suppose des agissements répétés (article L1152-1 du code du travail). Mais la prise d’acte sur ce fondement serait-elle pour autant recevable après une longue période d’absence du salarié qui s’en estime victime ?

Assurément oui, selon la Cour de cassation, dès lors que l’employeur n’a pris aucune mesure pour mettre fin à des faits avérés de harcèlement moral, peu important en réalité leur ancienneté. Face à une situation de harcèlement moral, la Haute Cour vient en effet d’admettre que le salarié puisse prendre acte, après une longue absence, dès l'instant que l'entreprise n'a rien entrepris pour mettre fin aux agissements du harceleur (Cass. Soc ; 8 juillet 2015 n° 14-13324)

Concrètement… une salariée, en arrêt de travail pour congé maternité puis en congé parental, s’absente de l’entreprise du 3 juillet 2010 au 30 avril 2011. Quelques jours avant son retour, le 26 avril, elle démissionne.

Plus de 6 mois plus tard (et certainement « après avoir pris conseil »), elle notifie sa prise d'acte à l'employeur, prétendant (ou « se rappelant ») avoir être victime, avant la suspension de son contrat de travail, d’un harcèlement moral subi de la part de son supérieur hiérarchique… et qui aurait pu se reproduire à sa reprise de poste.

Elle saisit alors le conseil de prud’hommes pour obtenir réparation des préjudices qu’elle prétend ainsi avoir subi.

En justice, l’employeur fait valoir que la salariée « n’avait plus de contact avec l’entreprise depuis plusieurs mois » et avait même retrouvé un emploi au sein d’une autre entreprise, ce qui explique, selon lui, à coup sûr, sa démission.

Il soulève un autre argument, de bon sens, à savoir qu’elle « n’avait pas estimé devoir rompre le contrat de travail avant le 3 juillet 2010 », date de début de son absence de l’entreprise, pour maternité. Par là-même, et toujours selon l’employeur, elle ne pouvait donc subir « les agissements moral dont elle disait avoir fait l’objet, en raison de son absence de l’entreprise totalement étranger à ce prétendu harcèlement moral ».

La Cour de cassation réfute ces arguments quels que soient leur pertinence au motif qu’en dépit « de faits répétés de harcèlement moral » (aussi anciens soient-ils), l’employeur, informé, n’avait pris aucune mesure pour mettre un terme à cette situation.

En d’autres termes, dès lors que ces agissements pouvaient « potentiellement » se reproduire, de par l’absence du licenciement du harceleur, « cette situation rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle », selon la Haute Cour.

L’absence de la plaignante ne modifiait donc en rien les obligations de l’employeur.

Cette affaire démontre une nouvelle fois :

  • D’une part, l’intransigeance des Juges face l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur en matière de protection de la santé du salarié
  • D’autre part, l’impérieuse nécessité, pour l’employeur, de réagir, sans délai, ni détour, aux faits de harcèlement moral avérés, en sanctionnant immédiatement son auteur. 

Enfin, cette décision donne un nouveau coup de projecteur sur la prise d'acte.

A l’heure où les politiques débattent et s’écharpent sur notre  (trop) volumineux code du travail, voici une voie de rupture alternative au licenciement et à la démission, sans formalisme particulier, dont le régime juridique, construit de toute pièce par la Cour de cassation, se révèle chaque fois plus efficace pour le salarié (ou dévastateur pour l’employeur, suivant où l’on place le curseur).

Précisons que dès que les griefs invoqués contre l'employeur sont jugés fondés, la prise d'acte de la rupture du contrat produit les effets d'un licenciement abusif, voire même nul, lorsqu’il s’agit - comme en l’espèce - d’un harcèlement moral (garantissant à la salariée l’octroi d’une indemnité à la charge de l'employeur a minima égale aux douze derniers mois de salaire).

A bon entendeur…

Télécharger en version imprimable ici  (coupure Gazette du Midi - 28/09/2015)

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