Projet Loi Travail : les idées reçues à l'origine du lynchage

Nous vous annoncions il y a quelques temps une année 2016 riche sur le plan social avec notamment le projet de loi El Khomri. Cette grande réforme ambitieuse à un an des élections présidentielles se révèle un pari risqué pour le gouvernement, à en juger la polémique grandissante qu’elle suscite.

La jugeant trop favorable à l’employeur, plus d’un million de français ont signé une pétition pour le retrait de ce texte, 7 concitoyens sur 10 y seraient opposés, et les organisations syndicales ont prévu de battre le pavé…

Quand bien même il a toujours été question du « génie français », on peut légitimement se demander si, pour se positionner aussi promptement, tout un chacun a pris le temps de lire les 131 pages complexes de l’avant-projet de loi, ou à minima les 20 pages de « l’exposé des motifs » de ce texte…

Une lecture attentive, voire superficielle de cette réforme « fourre-tout » complexe laisse au contraire entendre qu’il faut se garder de toute opinion tranchée ou à tout le moins hâtive.

 

Vers plus de protection et de dialogue social ?

Le maître mot de cette réforme est l’équilibre (impossible…) entre les différents acteurs de la relation de travail, comme en témoigne son intitulé : "projet de loi sur les nouvelles protections pour les entreprises et les salariés".

Et en effet, les « avancées sociales » ne sont pas en reste dans ce texte.

Outre la refonte du code du travail qui prévoit la reconnaissance de « droits fondamentaux » octroyés au salarié, le projet de loi Travail appréhende de nouvelles protections, liées, par exemple, à l’introduction du numérique dans la relation de travail : le droit à la « déconnexion », un meilleur encadrement du télétravail etc.

Concernant les syndicats, pourtant très critiques sur ce projet de loi, ils se voient octroyer de nouveaux moyens de pression sur l’employeur, avec notamment l’accès à l’intranet de l’entreprise, et ce, même sans l’accord de l’employeur.

Le texte leur donne aussi la possibilité :

  • D’une part, de fixer un taux de majoration des heures supplémentaires par simple accord collectif d’entreprise (ou d’établissement). Ce taux pourrait donc être différent de celui fixé par l'accord de branche, ce qui n'est pas possible actuellement, sans toutefois être inférieur à 10%, précision bien souvent oubliée aux dires de certains responsables syndicaux ou politiques. A défaut d'accord, la majoration pour heures supplémentaires demeurerait celle fixée par la loi (25% pour les 8 premières heures, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50%).

  • D’autre part, de conclure des accords de compétitivité dits « offensifs », qui permettraient un ajustement du temps de travail et des rémunérations des salariés (mais sans baisse mensuelle du salaire) au nom de l’emploi, même sans difficultés économiques, après validation par référendum auprès des salariés, si des syndicats signataires représentant 30% de voix le demandaient. Le salarié refusant ces modifications (s’imposant de fait à son contrat de travail) serait éventuellement licencié pour cause réelle et sérieuse, une rupture pour motif personnel qui ne serait pas un licenciement économique (licenciement sui generis).

Ces deux points d’achoppement témoignent à l’évidence des difficultés à mettre en place sereinement ce « dialogue social », à l’instar de nos voisins d’outre-Rhin.

 

3 projets de loi dans l’œil du cyclone

Mais l’actuelle levée de bouclier est surtout virulente sur 3 autres réformes :

  • Le forfait jour dans les PM

  • La redéfinition du licenciement économique,

  • Le nouveau barème des indemnités prud’homales pour licenciement abusif.

Le forfait jour

Le texte instaure la possibilité de conclure des conventions individuelles de forfaits en jours ou en heures sur l'année dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Les opposants à ce projet y voient bien entendu la possibilité pour l’employeur de « s’auto-exonérer » du paiement des heures supplémentaires. Toutefois, l’employeur réfléchira à deux fois avant de mettre en place un tel système, lorsqu’on sait les règles drastiques et garanties minimales pour les salariés à respecter pour la validité du forfait-jour (catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait, contrôle de la charge de travail, respect des règles de repos...), sous peine d’encourir de lourdes condamnations (rappels d’heures supplémentaires, indemnité pour travail dissimulé).

Le licenciement économique

Désormais, la durée de baisse des commandes ou du chiffre d'affaires (4 trimestres consécutifs) ou la durée des pertes d'exploitation (1 semestre) conditionneraient désormais l’existence d’une difficulté économique.

Cette appréciation chiffrée si vilipendée n’a pourtant rien d’exceptionnel, d’autant plus qu’elle synthétise peu ou prou la jurisprudence existante de la Cour de cassation.

L’évaluation de ces difficultés s'effectue au niveau de l'entreprise mais, si celle-ci appartient à un groupe, "au niveau du secteur d'activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient". Autrement dit, l’employeur n’aura plus à rechercher si le groupe international auquel il est rattaché, rencontre pour sa part, des difficultés économiques.

Le texte ne semble pas en revanche remettre en cause l’obligation de reclassement sur lequel l’employeur est bien souvent pris en défaut (plus que sur la réalité même des difficultés économiques).

Les indemnités prud'homales.

Elles ne pourraient plus excéder un certain montant (15 mois maximum) et pourraient varier en fonction de l'ancienneté du salarié et non plus de la taille de l'entreprise comme le prévoyait le projet de loi Macron, censuré par le Conseil constitutionnel en août dernier.

Il est bien souvent passé sous silence que ne seraient pas concernés par ces plafonds, de nombreux cas : discrimination, non-respect de l'égalité professionnelle, harcèlement moral ou sexuel, corruption, violation de la protection accordée à la femme, accident du travail ou maladie professionnelle, aptitude-inaptitude, violation du statut des représentants du personnel, droit de grève...

Si ce texte introduit donc davantage de flexibilité dans la relation de travail, il n’est pas pour autant "Tout benef pour le Medef" comme l’indiquait la CGT dans un communiqué.

En attendant, le projet de loi porté par la ministre du travail sera finalement présenté en Conseil des ministres le 24 mars et non le 9 mars, comme initialement prévu.

Le gouvernement semble avoir tout intérêt à reprendre les concertations avec les partenaires sociaux et répondre aux nombreuses critiques opposées au texte, y compris celles de Me Frédéric Sicard, bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, regrettant à raison que "le projet de loi travail ait été élaboré à la hâte sans le concours des praticiens du droit social, [et qu'il] ne créé ni les conditions d'une simplification pragmatique, ni un contexte favorable à la création d'emplois"…

… Retour à la case départ ?

 

Télécharger en version imprimable ici  (coupure Gazette du Midi - 14/03/2016)

 

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