Protection du salarié "lanceur d'alerte" : Le juge devance le législateur

Hasard ou coïncidence, le salarié « lanceur d’alerte », et notamment sa protection, sont au cœur de l’actualité.

Entre le scandale des Panama papers et celui du Luxleaks, le juge français s’est invité dans le débat, de façon moins médiatique certes, mais en tranchant pour la première fois, la question de la protection du salarié, lanceur d’alerte (cass.soc.30 juin 2016, n° 15-10.557).

L’affaire nous amène en Guadeloupe (non loin du Panama !), au sein d’une association, Agrexam, gérant avec des fonds publics une activité de centre de santé et de structure sanitaire (déléguée par la Caisse générale de la Sécurité sociale).

Courant 2009, cet organisme recrute un directeur administratif et financier, qui, rapidement, va être amené à dénoncer des faits qu’il estime délictueux (malversations, emploi fictif, détournement de fonds publics, escroquerie…) et qu’il n’entend pas cautionner.

Après un signalement interne (auprès de l’organisme de tutelle, la Caisse générale de Sécurité sociale) demeuré infructueux, le salarié porte plainte auprès du procureur de la République.

A la suite de cette dénonciation pénale, et essentiellement pour ce motif, ce dernier est licencié le 29 mars 2011 pour faute lourde.

Il va, dans un premier temps, contester la mesure auprès du Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre, en sollicitant la nullité du licenciement, à l’appui de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 12 février 2008 (n°14277/04 – Guja/Moldova).

Débouté par la juridiction prud’homale, il saisit alors la Cour d’appel de Basse-Terre, qui, pour sa part, admet que les faits dénoncés peuvent être qualifiés de détournement de fonds publics ou d’escroquerie, et reconnaît que la bonne foi du salarié est indiscutable.

Elle considère que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, mais n’accède pas, pour autant, à sa demande de nullité. Pour la Cour d’appel, il ne peut y avoir nullité en l’absence de textes (légaux) en ce sens.

Au final, la Cour de cassation sanctionnera ce raisonnement, et va ainsi faire droit à la demande de nullité du licenciement qui, pour mémoire, implique la réintégration du salarié à son poste, ou à défaut le versement de dommages-intérêts ne pouvant être inférieurs à 6 mois de salaires.

Elle motive sa décision au visa de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui protège la liberté d’expression. Elle rappelle ainsi que le licenciement est nul dès lors qu’il repose sur la violation d’une liberté fondamentale, en l’occurrence, la liberté d’expression.

Par cet arrêt novateur du 30 juin 2016, la Haute Cour protège de façon absolue les lanceurs d’alerte de bonne foi dans l’exercice de leur liberté d’expression, lorsqu’il s’agit de la dénonciation de faits « pouvant être qualifiés de délictueux » auprès du procureur de la République.

Elle entend même aller au-delà, au vu de son communiqué (publié à la suite de cette décision), en prévoyant une protection équivalente en cas de dénonciation émanant de tiers… visant indirectement les médias et les réseaux sociaux.

Les Juges ont pris de cours le législateur.

Le projet de loi « transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » (dit Sapin II), prévoyant en matière financière de nouvelles dispositions de protection pour les lanceurs d’alerte, est en effet toujours en gestation.

Après la secousse du Brexit, la décision de la Cour de cassation rappelle que le droit européen peut suppléer le droit interne dans la protection des salariés.

Solène MERIEUX

Télécharger en version imprimable ici  (coupure Gazette du Midi - 15/09/2016)

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